LE LABORATOIRE DE RECHERCHE EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION DU CELSA
UR 1498
Journée d'études

L'âge d'or. Médias, mémoires et nostagies

Université Paris-Sorbonne, Maison de la Recherche, 75006 Paris

En septembre dernier s’est tenue la journée d’étude « L’âge d’or – Médias, mémoires et nostalgie » à la Maison de la Recherche de l’université Paris-Sorbonne. Co-organisée par trois laboratoires de recherche – le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC), le French Media Research Group (FMRG) et le GRIPIC –, cette journée a réuni historiens et chercheurs en Sciences de l’information de la communication autour d’une réflexion sur les processus médiatiques d’idéalisation du passé, en questionnant l’ « âge d’or » comme une modalité spécifique de la nostalgie dans et par les médias.

Isabelle Veyrat-Masson ouvre la journée par une conférence inaugurale sur la question des mythes de l’âge d’or. Directrice de recherche au CNRS et spécialiste des relations entre l’histoire et les médias, la chercheuse pense l’âge d’or comme un sentiment collectif mouvant et instable alimenté par une vision décliniste du temps présent. S’appuyant notamment sur le cas du média télévisuel, Isabelle Veyrat-Masson rappelle que l’âge d’or demeure un imaginaire nimbé de dynamiques contradictoires. La critique récurrente de l’affaiblissement des programmes culturels à la télévision – entretenue par ses propres acteurs, institutionnalisée par les manuels scolaires – contribue par exemple à façonner une représentation mythifiée de ses origines, au moment même où les investissements dans les programmes culturels n’y ont jamais été aussi élevés. Isabelle Veyrat-Masson développe également les liens qui arriment mémoire et télévision ; leur travail de sélection et leur processus de montage déconstruisent la perception chronologique du passé pour lui préférer une appréhension commémorative, sanctificatrice, parfois séditieuse.

La suite de la journée s’organise autour de quatre axes thématiques ; le premier interroge les mythes modernes de l’âge d’or. À travers une lecture de l’âge d’or comme « une forme de coloration du temps », Adrien Genoudet (Lhivi, EHESS et Edesta, Paris 8) éprouve l’hypothèse d’une écriture visuelle de l’histoire. L’étude du fonds cinématographique Albert Khan lui permet d’examiner les phénomènes de périodisation et d’analyser le rôle de l’image dans l’idéalisation de la Belle Époque à partir de l’imagerie des Années folles. Rémy Pawin se livre ensuite à une étude « archéologique » de l’enracinement du mythe des Trente Glorieuses dans les manuels scolaires. L’historien met en évidence la consécration progressive d’un imaginaire historique sans nuances autour d’une labellisation renvoyant à l’origine à l’idée de prospérité économique. Ces deux interventions étudient l’âge d’or au prisme de ses « chrononymes », soit le processus de dénomination d’une période historique menant à une catégorisation et une parcellisation du temps.

La fin de matinée est consacrée aux processus de sélections du passé débouchant sur la construction médiatique d’âges d’or. Audrey Garcia (RIRRA21) interroge la manière dont les médias ont permis à Jean Cocteau de s’inscrire comme le « passeur de mémoire » du XXe siècle. Entre une galerie de « Portraits-souvenirs » parue dans Le Figaro dans les années trente et les portraits télévisuels réalisés à la fin de sa vie, Cocteau a bâti une véritable esthétique du souvenir nostalgique en s’imposant comme la voix du passé au XXe siècle. Jean-Charles Geslot (CHCSC) questionne quant à lui les distorsions de temporalités dans les représentations du Second Empire par le biais d’une étude comparative du cinéma de Renoir et Guitry. Il démontre que des œuvres des cinéastes, pourtant séparées par une trentaine d’années, essentialisent un regard idéalisé porté sur la fin du XIXe siècle et procèdent à une « agedorisation » médiatique du Second Empire. Enfin, Audrey Orillard (Isor/CRHXIXème) s’intéresse à la rediffusion des scopitones à la télévision française depuis les années 80. En examinant le développement progressif de l’émission nostalgique en tant que genre télévisuel à part entière, la jeune docteure rappelle que les retombées symboliques de cette fascination pour le passé doivent être pensées au regard des motivations économiques conjoncturelles de la télévision.

L’après-midi débute par une session autour des pratiques et objets médiatiques à l’œuvre dans la constitution de l’âge d’or. L’émergence d’un engouement pour l’affiche illustrée de Jules Chéret et sa transformation en mythe sont discutés par Virginie Vignon (GRIPIC), qui ausculte en particulier les phénomènes d’échos entre critiques d’art et collectionneurs de même que leur contribution à la création d’une communauté mémorielle autour de l’affichiste. L’intervention de Sandrine Koudja-Coyez (CRAL) porte sur la nostalgie américaine de la Old Time Radio. L’âge d’or de ce médium doit être pensé au regard du développement de la télévision dans les années cinquante, et présente la particularité de s’incarner dans des activités de remémoration intermédiatiques. Enfin, Géraldine Poels pense l’âge d’or de la télévision comme une catégorie protéiforme, segmentée par des temporalités plurielles et par des logiques d’acteurs ou de publics souvent discordantes.

Le dernier axe de la journée aborde la notion d’âge d’or par le biais de productions culturelles spécifiques. Luc Robène (LACES) et Solveig Serre (THALIM) étudient la presse spécialisée comme un lieu où travaille la mémoire. Leur intervention propose notamment d’identifier les opérateurs médiatiques de la panthéonisation du mouvement punk. Enfin, Jean-Paul Gabilliet (CLIMAS) offre une étude comparative de l’âge d’or de la bande dessinée en France et du Golden Age of Comics aux États-Unis : le chercheur questionne la validité historique de la notion d’âge d’or, dans laquelle il perçoit plutôt une forme de reconstruction collective motivée par un consensus.

Katharina Niemeyer, maître de conférences à l’IFP et membre du CARISM, spécialiste des relations entre médias et nostalgie, a été invitée à clôturer cette journée d’étude. Opérant la synthèse des interventions, elle identifie les notions clefs qui s’imposent comme des sillons de recherche futurs pour approfondir les liens entre âge d’or et médias, telles la trace, la reconstitution, la généalogie, ou encore la mode. L’oubli serait le lieu d’un développement heuristique : l’âge d’or peut-il mener à des formes d’amnésie sociale ? L’âge d’or d’une période que l’on n’a pas connue devrait-il être appréhendé par un glissement conceptuel de la nostalgie à la mélancolie ? Réaffirmant l’ancrage profondément médiatique de toute forme de nostalgie, Katharina Niemeyer suggère de considérer l’âge d’or dans son aspect processuel. Enfin, la prégnance de la question du retour dans l’ensemble des interventions entre en résonnance avec l’étymologie de la nostalgie, qui ne doit pas être réduite à une forme de régression mais doit plutôt nous inviter à sonder le caractère éphémère du beau et de la rareté soumis à une exigence d’éternité. 

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